Panorama 2Broyer du noir

Nous t’avons tant aimé !

Où l’on découvre qu’être démodé peut être fatal.

Paris, 1835. Le baron Antoine-Jean Gros présente sa dernière œuvre – Hercule et Diomède – au Salon artistique. Un sacré morceau de peinture ! Le seul problème, c’est que le genre mythologique n’est plus du tout du tout à la mode… Les critiques se lâchent, et Gros ne s’attendait sans doute pas à tant de furie. Mais pourquoi s’acharne-t-on ainsi sur lui ?

Antoine-Jean baron Gros, Hercule et Diomède,

1835, huile sur toile, 426 x 324 cm, Musée des Augustins, Toulouse. Photo : Daniel Martin

Parce que la déception est énorme : cet artiste a fait partie des peintres les plus innovants de sa génération. Son style fougueux lui valait l’admiration de tous. Les artistes romantiques comme Delacroix le considèrent même comme le précurseur de leur mouvement ! On comprend leur dépit quand Gros réalise ce tableau digne du début du siècle. Pour le peintre, pourtant, cela ne sort pas de nulle part.

Antoine-Jean baron Gros, Autoportrait à l'âge de vingt ans,

vers 1791, huile sur toile, 61 x 50 cm, Musée des Augustins, Toulouse. Photo : STC – Mairie de Toulouse

Car il fut l’élève de David, un peintre "néoclassique" qui a construit sa réputation avec de grands tableaux mythologiques. Seulement, cela se passait à l’époque de la Révolution française… Il faut vivre avec son temps !

Jacques-Louis David, L'enlèvement des Sabines,

1799, huile sur toile, 385 x 522 cm, Musée du Louvre, Paris

Gros ne peut cependant pas accepter cet échec cuisant : il se jette dans la Seine.


Le peintre Bordier du Bignon lui rend alors hommage en magnifiant ce suicide. Pour cela, il choisit de reprendre une composition exécutée par le défunt au début de sa carrière, durant sa fameuse période préromantique. Se donner la mort n’y aura donc rien changé, tout le monde n’a d’yeux que pour les premières œuvres du baron Gros.

À gauche : Antoine-Jean baron Gros, Sapho à Leucate (détail),

1801, huile sur toile, 122 x 100 cm, Musée d'art et d'histoire Baron Gérard, Bayeux

À droite : Jacques Bordier du Bignon, Gros s'élançant dans l'éternité (détail),

entre 1826 et 1850, huile sur toile, 182 x 241 cm, Musée de Augustins, Toulouse. Photo : Bernard Delorme