Panorama 3

“Un héros en robe de chambre ?”

Où l'on fait la connaissance d'un crapaud dans un sac.

Nous sommes en 1898 : Rodin se retrouve, à nouveau, au cœur d’un scandale…


Cette fois, il s’agit d’une commande de la Société des gens de lettres : une statue en l’honneur d’un monument de la littérature française, Honoré de Balzac. Pour la réaliser, Rodin s’est donné du mal. Il s’est lancé dans une véritable enquête digne de Sherlock Holmes. Il s’est renseigné sur la vie de l’écrivain, bien sûr, et il est même allé jusqu’à retrouver son tailleur. Rodin a une petite idée : reproduire la fameuse robe de chambre dont Balzac s’emmitouflait pour travailler. Ce sera l’élément central de sa future sculpture ! Rodin enduit la fameuse robe de chambre de plâtre et la façonne pour créer un grand drapé.

Auguste Rodin, Étude de robe de chambre pour Balzac,

1897, plâtre, 148 x 57,5 x 42 cm, Musée Rodin, Paris

© Agence photographique du musée Rodin, Jérome Manoukian

Ce travail acharné lui prend tout de même 6 années. Enfin, son projet en plâtre est dévoilé : les traits du visage de Balzac sont expressifs, certes, mais complètement indistincts. Son corps, enveloppé dans cette immense robe de chambre, semble s’être dissout. Il n’en faut pas plus pour que la critique s’en donne à cœur joie : on compare l’œuvre à un crapaud dans un sac ou à un bloc de sel après une averse !


Les termes peu flatteurs fusent. Le critique Henri Rochefort dit même : "Jamais on n’a eu l’idée d’extraire ainsi la cervelle d’un homme et de la lui appliquer sur la figure". Charmant !

Eugène Druet, Rodin dans son studio à Meudon (statue de Balzac à l'arrière plan),

vers 1902

© Musée Rodin

Pourtant, Rodin est précisément arrivé au résultat qu’il visait. Pour lui, il est plus important de représenter non pas l’homme, mais l’écrivain. Son Balzac doit rendre perceptible le souffle du génie créateur, et peu importe si ce n’est pas ressemblant !


Trop novatrice pour son temps, l’œuvre est si scandaleuse que la commande est finalement annulée. Et Rodin n’a jamais pu voir la version en bronze, exécutée bien plus tard, en 1935...

Auguste Rodin, Monument à Balzac,

1898, bronze, 270 x 120,5 x 128 cm, Musée Rodin, Paris

© Agence photographique du musée Rodin, Jérome Manoukian