Panorama 1

Plus vrai que nature

Où l'on découvre qu'être très doué peut attirer des ennuis.

Nous sommes à Paris, en 1878. Le sculpteur Auguste Rodin peine à se faire connaître... Voilà pourquoi il propose une œuvre au Salon : c’est une grande exposition qui pourrait lui permettre d’être enfin reconnu par ses pairs.

Édouard Dantan, Un Coin du Salon en 1880,

vers 1880, huile sur toile, 97 x 130 cm, collection particulière

L’œuvre qu'il expose représente… un homme nu. Déjà montrée à Bruxelles quelques mois plus tôt, la sculpture avait valu à Rodin quelques critiques acerbes. Pourquoi cela ? Parce que la statue n’a ni titre, ni rien qui ne permette une identification. À l’époque, cela ne va pas du tout : une œuvre doit toujours illustrer un sujet précis !


Rodin n’a pas le choix. Pour être accepté au Salon, il décide en dernier recours de baptiser sa sculpture : ce sera L'Âge d'Airain, une référence au troisième âge de l'humanité tel qu’il est décrit par l’auteur antique Hésiode.

Auguste Rodin, L'Âge d'Airain,

réalisé en 1877, fondu en 1941, bronze, 180 x 68 cm x 54 cm, Musée Rodin, Paris

© Agence photographique du musée Rodin - Jérome Manoukian

Mais ses ennuis ne s’arrêtent pas là : le rendu du corps nu est particulièrement réaliste. Rodin a reproduit avec exactitude la morphologie de son modèle, sans l’idéaliser. On est loin du goût plus lisse des artistes académiques… Le public n’est pas habitué. Pire : on accuse Rodin d'avoir moulé sa statue directement sur le modèle, ce qui est alors un crime impardonnable pour un sculpteur !

Auguste Rodin, L'Âge d'Airain,

réalisé en 1877, fondu en 1941, bronze, 180 x 68 cm x 54 cm, Musée Rodin, Paris

© Agence photographique du musée Rodin - Jérome Manoukian

Pendant trois ans, Rodin fait des pieds et des mains pour se justifier : témoignages, photographies... tout y passe. Afin de prouver sa bonne foi, il va jusqu’à faire précisément ce qu’on lui a reproché, à savoir un moulage du corps de l’homme qui lui a servi de modèle. Le but ? Mettre en lumière les différences avec sa propre sculpture. La preuve est indiscutable : ce n’est pas un moulage, mais le fruit d’une étude approfondie de l’anatomie !


Finalement, tout ce scandale lui rend service : Rodin sort de l'anonymat et reçoit enfin ses premières commandes de grande envergure !