Panorama 3
Rien qui dépasse !
Où l’on découvre des bourgeois plus pauvrement vêtus que des mendiants.Nous sommes à Calais, en août 1885. Des messieurs très sérieux se pressent en un même lieu. Ils trépignent, impatients… Mais impatients de quoi ? De découvrir la nouvelle version des Bourgeois de Calais, que Rodin doit leur livrer !
Ce groupe de six personnages sculptés qu’ils ont commandé au grand artiste, ils en ont déjà vu une première version qui les a enthousiasmés ! Ce n’était pourtant qu’une esquisse, alors ils se disent que la seconde maquette, plus aboutie, sera incroyable ! Ils s’imaginent déjà les six bourgeois aux cœurs nobles qui se livrent au roi d’Angleterre, en pleine Guerre de Cent ans, pour que celui-ci épargne la ville de Calais. De l’héroïsme à l’état pur !
Pourtant, dès le premier regard, ils sont affreusement déçus. Les six bourgeois sont habillés de haillons qui ne reflètent pas du tout leur rang. Rodin prévoit de les habiller de simples chemises trempées dans le plâtre. Mais il y a pire : ils ont des mines complètement abattues. Où sont les héros tant attendus ?
Et puis, qu’est-ce que c’est que cette façon de mettre les six figures sur le même plan ? Tout le monde sait qu’il faut un personnage au-dessus de la mêlée, pour que le regard se pose d’abord sur lui ! C’est en tout cas ce qu’on enseigne dans les écoles d’art académique. Mais Rodin est tout, sauf un artiste académique.
D’ailleurs, quand il reçoit les critiques du comité, il leur répond qu’il n’est pas un sculpteur « froid et conventionnel ». Non, il ne modifiera pas son projet. Non, il n’a pas envie de placer ses personnages en pyramide, comme le demandent les commanditaires.
Chacun de ses personnages représente l’une des six émotions possibles face à une situation. Cela n’aurait aucun sens d’en mettre un en avant ! Les spectateurs doivent ressentir les sentiments des bourgeois. Pour cela, il veut même supprimer tout piédestal. À hauteur d’homme, on pourra toucher du doigt leur sacrifice.
Cette histoire de statues sans socle, c’est vraiment trop pour le comité. Alors Rodin, dans sa grande bonté, accepte de faire un piédestal. Il n’a lâché que sur ce point…