Panorama 4

Cachez ces fesses que je ne saurais voir

Où l’on apprend que Camille Claudel n’aime pas trop qu’on lui dise quoi faire.

Camille Claudel, La Valse, vers 1893, bronze, 43 x 23 x 34 cm, Musée Rodin, Paris
© Musée Rodin

Nous sommes en 1892. Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts, est mi-pensif mi-gêné devant une œuvre que l’artiste Camille Claudel vient de lui envoyer. Intitulée La Valse, elle représente un couple de danseurs, entraînés dans une danse tourbillonnante. Un grand drap blanc se déploie au-dessus d’eux, pour donner de l’ampleur au mouvement.

Mais voilà… les deux danseurs sont nus. En plus, l’homme a la tête penchée jusque dans le creux du cou de sa partenaire. Bref, la Valse est très sensuelle.

Armand Dayot ne conteste pas la beauté de l’œuvre, ni son originalité. Mais cette sculpture doit être exposée au grand public. Et d’habitude, les détails les plus crus sont cachés. Pas de doute, l’œuvre risque de faire scandale.

L’inspecteur écrit à Camille Claudel pour lui demander, "par prudence", de rhabiller ses personnages. Mais l’artiste ne se démonte pas, au contraire : elle décide d’utiliser cette contrainte à son avantage. Pendant tout l’été, la sculptrice retravaille les mouvements du tissu. Ce drap ? Elle va le faire descendre, pour couvrir le corps de sa danseuse.

Mais pas question d’obéir aveuglément. Avec ce drap, Claudel en profite pour souligner les formes de la danseuse en sueur. Le tissu lui colle aux reins, et le résultat est encore plus sensuel.

Armand Dayot émet cette fois un jugement nettement plus favorable… même s’il n’est pas dupe ! "Ces draperies sont bien frêles. Mlle Claudel a voulu sacrifier le moins de nu possible et elle a eu raison. Mais elles suffisent à voiler les détails trop visiblement réalistes…" La pudeur et l’art ont trouvé un terrain d’entente !

Camille Claudel, La Valse, vers 1893, bronze, 43 x 23 x 34 cm, Musée Rodin, Paris
© Musée Rodin