Panorama 2Broyer du noir

Un mauvais pressentiment…

Où l'on découvre que la peinture peut être prémonitoire.

Benjamin-Constant, Portrait de ses deux fils ; André et Emmanuel,

1899, huile sur toile, 108,4 x 123,8 cm, Musée des Augustins, Toulouse. Photo : Daniel Martin

Se détachant sur un fond sombre, deux jeunes hommes à l’air mélancolique regardent dans des directions opposées. Un peu triste pour un portrait de famille, non…? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les modèles sont frères, et ils sont peints par leur père, Benjamin-Constant.

Benjamin-Constant dans son atelier,

avant 1904, photographie

Cet artiste, portraitiste reconnu de l’aristocratie et de la bourgeoisie, représente aussi fréquemment son entourage dans ses œuvres. Mais d’où vient l’impression de tristesse qui se dégage de celle-ci ? Benjamin-Constant l’explique lui-même : alors qu’il vient de terminer le visage de son fils Emmanuel (à droite), il est soudain saisi d’un sinistre pressentiment, au point qu’il ne peut retenir ses larmes. "Un voile de deuil me passant sur les yeux", écrira-t-il plus tard en se souvenant de cet instant.

Benjamin-Constant, Portrait de ses deux fils ; André et Emmanuel (détail),

1899, huile sur toile, 108,4 x 123,8 cm, Musée des Augustins, Toulouse. Photo : Daniel Martin

Peu de temps après, Emmanuel meurt emporté par une pneumonie, à 23 ans seulement. Ce tragique événement bouleverse évidemment le peintre, qui garde pour consolation d’avoir pu, "avec tout [son] cœur de père, avec toute [son] âme d’artiste", fixer sur la toile de manière si vivante les traits de son cher fils disparu…

Benjamin-Constant, Portrait d’Emmanuel,

entre 1876 et 1900, huile sur toile, 27 cm (diamètre), Musée des Augustins, Toulouse. Photo : Daniel Martin

Mais si l’on regarde attentivement ce fameux portrait, dans la pénombre entre les deux personnages, on distingue quelques touches de rose… ainsi que des yeux brillants. C’est un petit chien malicieux qui tire la langue, comme un pied-de-nez au destin. Tout n’est donc pas si noir !

Benjamin-Constant, Portrait de ses deux fils ; André et Emmanuel (détail),

1899, huile sur toile, 108,4 x 123,8 cm, Musée des Augustins, Toulouse. Photo : Daniel Martin