Panorama 1Se mettre au vert
Bon vent !
1849, Paris. Le Salon de peinture et de sculpture bat son plein : les curieux s’y bousculent pour découvrir les dernières œuvres de leurs contemporains. Des critiques un brin dédaigneux répètent ici et là au sujet de James Pradier, un sculpteur pourtant en vogue : il "par[t] tous les matins pour Athènes et le soir arrive au quartier Bréda". Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?
Un coup d’œil à sa sculpture Chloris caressée par Zéphir permet de comprendre la référence à Athènes. La statue représente un nu féminin, avec une pose en apparence pudique, un tissu au drapé délicat, le tout taillé dans du marbre : autant de caractéristiques des sculptures de la Grèce antique.
Rien de surprenant en fait, puisque le titre de l’œuvre fait référence à la mythologie grecque. D’après celle-ci, Chloris est la nymphe des fleurs et du printemps, et Zéphir le dieu du vent. On devine la présence de ce dernier par l’émoi de la nymphe.
Mais en faisant un peu plus attention aux détails, est-ce qu’il n’y a pas quelque chose qui cloche ? La tête renversée de Chloris, son corps frémissant, ses formes, ses mains retenant à peine le drap qui couvre son intimité… Notre statue semble vivre un moment d’extase après avoir été traversée par le vent. Une pose lascive peu convenable pour une nymphe, censée être jeune et prude.
La voilà, la référence à Bréda ! Il s’agit du quartier de Paris où vivent les lorettes, des femmes entretenues aux mœurs légères. La statue de Pradier déborde elle aussi de sensualité, et c’est bien ce que certains critiques dénoncent avec leur petite phrase énigmatique.
D’autres, au contraire, se réjouissent de ce renouveau de l’esthétique antique. Les avis divergent, mais au moins cette statue n’a laissé personne de marbre !