Panorama 2Broyer du noir

Les griffes de la nuit

Où l’on découvre un artiste qui rêve.

Eugène Thivier, Le cauchemar, 1894, marbre, 133 x 215 x 71 cm, Musée des Augustins, Toulouse. Photo : Daniel Martin

Allongée sur son lit, agrippant le drap d’un pied et d’une main, cette jeune femme tente de repousser un terrible monstre. Effrayant, non ? C’est bien là le sujet de l’artiste : les peurs qui surgissent au beau milieu de la nuit pour nous torturer.

Pour sa sculpture, Eugène Thivier s’est inspiré d’un tableau célèbre peint un siècle plus tôt par l’artiste Füssli. Dans cette toile, un monstre vient tourmenter une jeune femme en s’asseyant sur sa poitrine. Depuis le Moyen Âge, on est en effet persuadé que les cauchemars sont des êtres maléfiques. Leur présence sur la cage thoracique du dormeur explique alors la sensation d’étouffer qui nous prend parfois la nuit, lorsque les mauvais rêves nous assaillent.

Le monstre femelle sculpté par Thivier n’est pas encore sur la poitrine de la demoiselle, mais il tente d’avancer. Il est nettement plus effrayant que le gnome peint par Füssli. Avec sa gueule de loup, ses ailes de chauve-souris géante, sa corne au milieu du front et ses griffes acérées, il incarne à merveille les pires cauchemars !

La sculpture date de la toute fin du 19e siècle. Depuis quelque temps déjà, on cherche à comprendre le mécanisme des rêves. On a l’intuition qu’ils sont plus liés au rêveur qu’à une créature malfaisante. C’est aussi à cette époque que Freud se met à étudier le sujet : il s'apprête alors à publier un premier livre sur les rêves.

Mais ces nombreuses avancées ne freinent pas un artiste d’inspiration symboliste de la trempe de Thivier. Comme la science n’expliquera jamais tout, il restera toujours de la place pour les interprétations poétiques de l’art !

Johann Heinrich Füssli, Le cauchemar, 1781, huile sur toile, 101 x 127 cm, Detroit Institute of Arts, Detroit